Les habitants de Saint-Agrève ont le baby-blues
SANTE (publié dans Libération) – Alors que la ministre de la Santé, Marisol Touraine, présente aujourd’hui un plan de lutte contre les déserts médicaux, la plus haute commune d’Ardèche n’a pas fait le deuil de sa maternité, fermée en 2008. Reportage à Saint-Agrève (Ardèche).
«J’ai accouché en hiver, les deux fois dans une tempête de neige. Si j’avais dû aller ailleurs, j’y serais pas arrivée. On est à 1 000 mètres d’altitude. Souvent, les routes sont abominables.»
Marie habite à Saint-Agrève, commune la plus haute du département de l’Ardèche, près de la frontière avec la Haute-Loire. En 2003 et 2005, elle a mis au monde ses deux enfants à la maternité de l’hôpital de Moze, en plein cœur du bourg. En 2008, ce service a fermé ses portes, faute d’un nombre d’accouchements suffisant. «Les derniers temps, on faisait 300 accouchements par an», pointe pourtant le Dr Louis Herdt, l’un des trois médecins généralistes de Saint-Agrève.
Depuis, les futures mères doivent se rendre à Annonay, au Puy, ou à Saint-Etienne, à plus d’une heure de trajet. Anne-Marie aussi a accouché à Saint-Agrève : «C’était un 6 janvier, les routes n’étaient pas ouvertes, je n’étais pas transportable.» Sa fille est à son tour enceinte : «C’est pour fin janvier. Elle va à Privas. On verra.»
En ce mardi, il fait très beau et très froid à Saint-Agrève. Malgré la neige, les routes sont à peu près dégagées. Mais lorsque souffle la burle, ce vent ardéchois qui balaie la neige et forme des congères, la circulation est considérablement ralentie, voire impossible. L’Agence régionale de santé (ARS) de Rhône-Alpes a bien imaginé un dispositif permettant d’acheminer les parturientes et leur enfant vers la vallée. «Il faudrait que le Samu monte en 4 X 4 avec une couveuse. Les pompiers viendraient de leur côté en hélicoptère. La maman descendrait avec le Samu. Et le bébé repartirait en couveuse dans l’hélico», résume Patrick Ledieu, le directeur de l’hôpital. Sauf que ce scénario idéal est contredit par la réalité : «J’ai le souvenir d’un accouchement un vendredi soir vers 16 heures, poursuit Patrick Ledieu. Le Samu n’a pas pu monter. Et on a attendu l’hélico trois heures.»
«Mouroir». Quatre ans après la fermeture de la maternité, les habitants de Saint-Agrève n’en ont pas fait le deuil. «Ça créait du va-et-vient. Les gens venaient voir les mamans à l’hôpital. Ils achetaient des gâteaux», rappelle une boulangère. Anne-Marie tient un magasin de laine et mercerie. Son commerce aussi a souffert de la disparition de la maternité. «Mais il y a encore un service d’échographie à l’hôpital, et les femmes viennent toujours acheter de la laine et des catalogues», relativise-t-elle.
Dès 2004, le département de chirurgie avait été fermé. Anne-Marie se souvient qu’elle y a été opérée, enfant, de l’appendicite. Mais les habitants ne se plaignent pas spontanément de sa disparition, comme si le symbole était moins fort que pour la maternité. Le Dr Herdt, lui, est amer : «Il y a vingt, vingt-cinq ans, l’hôpital marchait bien. On faisait les urgences du pays : les accouchements, la chirurgie viscérale, la traumatologie. L’été, ça n’arrêtait pas. Sans la maternité et la chirurgie, l’hôpital décline. Il va se transformer en mouroir.»
Comme beaucoup de petits établissements situés en zone rurale, l’hôpital de Moze est effectivement adossé à une maison de retraite médicalisée de 80 lits. Mais ce qui préoccupe les habitants de Saint-Agrève, comme le maire PRG de la commune, Maurice Weiss, c’est sa pérennité en tant qu’employeur – avec sa centaine de salariés, c’est l’un des deux plus gros du secteur. «Sa fermeture aurait un effet sur la démographie médicale», prévient l’élu. Aujourd’hui les praticiens de Saint-Agrève y font des vacations. «Si l’hôpital ferme, cela n’incitera pas les jeunes médecins libéraux à venir s’installer dans le coin.» L’autre préoccupation du maire, c’est de préserver l’offre de soin de cet établissement.
Aujourd’hui, l’hôpital de Moze regroupe plusieurs services dont ceux d’échographie et de coloscopie en forte croissance, un autre de «consultations non programmées» qui permet une prise en charge et un dispatching des urgences et surtout un service de soins de suite et de réadaptation (SSR) de 25 lits. Des patients opérés ou soignés dans d’autres établissements y viennent en convalescence. Pour Patrick Ledieu, la survie de l’hôpital de Moze passe par une augmentation des capacités d’accueil en SSR. «Il faut qu’on arrive au seuil fatidique de 60 lits», explique-t-il. Mais cela suppose le feu vert de l’ARS.
Groupement. Le 27 novembre, Olivier Dussopt, député PS de l’Ardèche, a interpellé Marisol Touraine sur la situation de l’hôpital de Moze. Le parlementaire a rappelé que celui-ci avait conclu, en 2008, avec la maison de repos des Genêts, située sur la commune voisine du Chambon-sur-Lignon (Haute-Loire), un groupement de coopération sanitaire, ce qui a permis aux deux entités de procéder à des mutualisations et d’alléger leurs coûts.
Marisol Touraine a appelé «les deux établissements concernés à poursuivre leur travail de partenariat, ajoutant qu’une fois le projet médical finalisé, les ARS [d’Auvergne et de Rhône-Alpes, ndlr] se saisiront de ce dossier afin d’étudier les faisabilités d’accompagnement, permettant le maintien d’une offre de soins de proximité.»
Une réponse prudente, bien loin de l’«engagement» répété de François Hollande selon lequel «aucun Français ne doit se trouver à plus de trente minutes de soins d’urgence».
Catherine Coroller
http://www.liberation.fr/societe/2012/12/12/les-habitants-de-saint-agreve-ont-le-baby-blues_867194